Les accoucheuses
-1: La fierté -
-2: La révolte -
-3: La déroute -

Histoire inédite des Patriotes

Le pays insoumis

Les tuques bleues

Autres roman et nouvelles

Gratien Gélinas

Marie Gérin-Lajoie

Études historiques

 

À lire:
Jasettes archivées

 

Pour vous abonner au bulletin électronique de l’auteure, prière d’envoyer un courriel à Écrivez-moi ci-haut, en mettant le mot « bulletin » comme objet.

___________________

 

     Accueil    Conférences    Profil biographique     Écrivez-moi    Mes oeuvres    English Abstract

Anne-Marie vous pique une jasette…

En juin 1835, grâce aux patriotes du district de Montréal, la feuille d’érable entreprend sa très longue carrière d’emblème canadien par excellence. Depuis longtemps sans doute, la feuille d’érable a acquis un statut particulier. Lors du premier banquet de la saint Jean-Baptiste, en 1834, le lieu du banquet – le jardin de l’Irlandais John McDonell est décoré de symboles qui représentent la nationalité canadienne : sapinage, fleurs printanières, branches d’érables, drapeaux de la Grande-Bretagne et des pavillons originaux et diversifiés, tous faits main.

À la fin de l’année 1834 se tiennent des élections générales. Elles sont souillées par la corruption et la brutalité, seuls moyens de l’oligarchie au pouvoir pour offrir la victoire à ses pions. Lors d’une assemblée post-électorale, l’un des principaux organisateurs des violences à Montréal, déclare pompeusement que tant qu’il poussera en sol canadien « du chêne anglais, English oak, et de l’épine noire irlandaise, Irish black thorn », ceux-ci montreront aux patriotes de quel bois ils se chauffent. La Minerve ajoute : « Avis à l’érable canadien pour ne point rester en arrière de ces arbres si renommés » du Royaume-Uni.

Six mois plus tard, après avoir annoncé le banquet 1835 de la saint Jean-Baptiste, La Minerve ajoute que « la feuille d’érable a été adoptée comme symbole du Canada ». La gazette ne dit pas qui est responsable de ce choix, mais on peut supposer qu’il s’agit de l’élite patriotique de Montréal, qui se regroupe au sein du comité organisateur ou même du parlement parallèle qui vient d’être mis sur pied, le comité central et permanent du district qui va jouer un rôle déterminant dans la résistance jusqu’en 1837.

La salle de l’hôtel Rasco est ornée de guirlandes, festons et touffes de verdures. Un faisceau de branches d’érables est placé à l’entrée, soutenant de chaque côté les drapeaux de la Grande-Bretagne et « ceux adoptés par le pays », sans doute le tricolore patriote vert, blanc et rouge. « Au milieu de ce faisceau se trouve un bouclier sur lequel est écrit : ESPÉRANCE – PATRIE – UNION. » À Saint-Denis-sur-Richelieu chez l’aubergiste Gadbois, jeunes érables, sapins et autres arbrisseaux donnent l’apparence « d’un salon de verdure ». Des portraits peints sont suspendus aux murs, « encadrés de feuilles d’érable qui forment de nombreuses couronnes ».

Au milieu de la salle, un grand pavillon est suspendu au plafond. On y trouve deux feuilles d’érable, figurant les provinces du Bas-Canada et du Haut-Canada. Le dessert a été confectionné par les « bonnes ménagères du pays ». Les convives – tous mâles – quittent alors la salle pour faire procession dans les rues du village, portant branches d’érable et couleurs canadiennes, pour « faire hommage de ces gâteaux » aux dames. De retour à l’auberge, les hommes prennent le café et savourent « des pipes chargées et préparées à l’avance, ornées de feuilles d’érable ».

Pendant ce temps, Louis-Joseph est à Saint-Benoît, comté des Deux-Montagnes, de retour de sa seigneurie de la Petite-Nation. Il est conduit « processionnellement dans le village dont toutes les maisons avaient été ornées de pavillons. Ensuite, un grand nombre de personnes, en voitures et à cheval, portant des drapeaux et des rameaux d’érable, l’ont accompagné jusqu’au bourg de Saint-Eustache, où ils ont été joints par un bon nombre d’habitants de cet endroit. »

L’année suivante, en 1836, le président du banquet de Montréal, Denis-B. Viger, déclame à propos de l’érable : « Cet arbre qui croit dans nos vallons, sur nos rochers, d’abord jeune et battu par la tempête, il languit en arrachant avec peine sa nourriture du sol qui le produit, mais bientôt il s’élance, et devenu grand et robuste, brave les orages et triomphe de l’aquilon qui ne saurait plus l’ébranler : l’érable c’est le roi de nos forêts, c’est l’emblème du peuple canadien. » À L’Assomption, c’est parés de feuilles d’érable que les convives se rendent jusqu’au « bocage » où le banquet se déroule.

En 1837, la feuille d’érable devient le symbole de la résistance aux Résolutions Russell et au gouvernement exécutif corrompu en place à Québec. À Terrebonne, lors d’une assemblée de protestation, la voiture en tête du cortège arbore un pavillon « sur lequel un castor et une feuille d’érable se faisaient remarquer ». À Berthier, les maisons sont décorées de feuilles d’érable. Lors du banquet de la saint Jean-Baptiste à Montréal, Denis-B. Viger déclare que « nous sommes aujourd’hui l’érable battu par la tempête. De même qu’il résiste aux efforts de l’aquilon, de même pouvons-nous résister aux efforts de l’arbitraire. La liberté ne peut être que le fruit des sacrifices du citoyen. La patrie exige de tous ses enfants. »

L’érable, symbole par excellence d’un Québec patriote et démocrate, est tombé dans l’oubli jusqu’à ce qu’en 1965, il prenne place au centre du nouveau drapeau du Canada. Couleur rouge sang.

Le 20 août 2018

Illustration : Maple Leafs in Autumn. Artiste : Milicent Mary Chaplin. Mikan 2986839. BAC.